Cracher sur « 50 Nuances de Grey » : le jeu sadomasochiste du moment

Il est sur toutes les lèvres, dans toutes les conversations et même dans quelques uns de nos fantasmes (si, si, avouons-le), 50 Nuances de Grey – le film – envahit notre environnement à grands coups d’affiches publicitaires dans le métro et d’articles dans nos magazines préférés.
Mais que penser de toute cette agitation lubrique ? Du mal, bien sûr.
Etre « anti 50 Nuances » devient le « Je suis Charlie » du moment, un phénomène de mode fédérateur…

Qui leur jette les plus grosses pierres ?

Tel Thierry la fronde, les médias ont intégré un lance-pierre anti-grey dans chacune de leurs rédactions.
Lefigaro.fr, nous détaille « 50 Nuances et cinq raisons d’être frustré(e) » ou encore Le Plus du « Nouvel Obs » déclare que « rarement un film n’a atteint un tel niveau de bêtise. Pathétique. »
Les arguments principaux ? « L’événement de la rentrée cinématographique s’avère aussi torride qu’un steak de soja. » « Il faut attendre à peu près 1h15 pour que surgisse la première scène olé olé (une petite fessée en loucedé). » ou encore « En comparaison, Emmanuelle, Histoire d’O ou Neuf semaines et demi apparaissent comme des chefs-d’oeuvres d’invention érotique« 

Bref, certains médias sont allés aller voir un film interdit au moins de 12 ans très grand public et ressortent déçus de ne pas avoir vu le remake de « Baise-moi ! » version cravache et martinet. Est-ce que l’équipe de production mérite vraiment d’être fouettée pour autant ? Pas sûr. Certes, 50 Nuances de Grey ne surfe pas sur la surenchère du « trash » BDSM, mais il reste néanmoins fidèle à la comédie romantique – et oui « comédie romantique », pas film « porno » – qu’il promettait.

Attention ! Je ne remets ici pas en question l’analyse tout à fait pertinente des experts cinéphiles sur le scénario, le jeu des acteurs ou encore la mise en scène. Cela reste un film qui a la prétention artistique d’un blockbuster.

D’où viennent les ricochets ?

Du milieu BDSM lui-même ! Certains ne se retrouvent pas dans cette vision « artificielle » et « naïve » de la relation entre Anastasia et Christian.
Eva Delambre, auteure de « Devenir Sienne » et « L’Esclave » (que je vous recommande chaleureusement si vous souhaitez lire un roman BDSM plus réaliste !) nous explique sa vision du phénomène :

«L’histoire ne me semble pas être du BDSM, du moins pas comme je l’entends. Je vois plus cela comme un jeu de domination dans un couple qui se découvre. Le passé « traumatisé » de Christian Grey donne une image un peu faussé de cet univers, comme si on ne pouvait pas être dominant(e) ou soumis(e) sans que ça ne soit lié à quelque chose de négatif et qu’il faille « s’en soigner ». Dans l’histoire, on parle beaucoup de fouet et de cravache mais pas assez des silences, des moments d’attentes et du Lien puissant qui unit un Maître et sa soumise, socles de la relation BDSM, c’est dommage. Au delà de ça, j’ai peur que le phénomène ne pousse des jeunes filles à se lancer dans l’aventure sans être au courant que ce type de pratiques peut parfois être très différent de cette représentation édulcorée. D’autant plus que beaucoup de « pseudo-Maitres » vont également apparaître pour tenter de profiter du phénomène. »

Que celui qui n’a jamais fantasmé sur une petite fessée jette la première pierre !

Le film 50 Nuances de Grey est – si quelqu’un l’avait oublié – une adaptation d’un livre : le scénario était donc écrit à l’avance avec peu de champ des possibles. Je ne vais donc pas parler ici du roman qui est certes (dans un ordre aléatoire et non exhaustif) : mal écrit, composé de personnages stéréotypés, gavé de scènes piochées dans des romans à l’eau de rose, très peu crédible, artificiel et, pourquoi pas, une pâle représentation du milieu BDSM.

Je parlerai simplement ici de l’adaptation que je partais voir avec cet à priori naturel. « Le film, c’est toujours pire que le livre… ». Et, à ma grande surprise, je me suis trompée !
Anastasia Steele joue moins les « vierges effarouchées » dans le film, et elle en est presque « touchante ». Hormis son tic (insupportable, mais obligatoire) de la lèvre, on pourrait presque s’identifier à cette jeune femme un peu gauche, mais pas si « bêtasse ».
La relation BDSM entre Christian et Anastasia est beaucoup plus réaliste dans le film que dans le livre. Anastasia AIME les pratiques de Christian, et Christian se rend compte qu’il ressent des sentiments amoureux envers Anastasia, ce qui le trouble profondément.
Les pires scènes du livre (la scène des boules de geisha ou l’orgasme des seins, par exemple) ont été évitées, à notre plus grand bonheur.

Alors OUI ! Anastasia se tortille trop rapidement dès que Christian l’effleure, les scènes de sexe sont très vite éludées et la fin de l’histoire reste incompréhensible… mais bilan final : ils s’en sont plutôt bien sortis et ont su donner un autre visage au BDSM, plus compréhensible par le grand public.

Mon conseil : allez voir le film sans opinion toute faite, ni à priori !

L’article qui résume bien mes pensées 

4 commentaires sur “Cracher sur « 50 Nuances de Grey » : le jeu sadomasochiste du moment

  1. Tout à fait d’accord avec l’analyse de Eva sur le roman mais je dois dire que j’ai tout de même envie de voir la « mise en scène » de certains détails qui ont fait marcher mon imagination à toute allure (bon c’est vrai qu’il en faut peu pour me faire gamberger), notamment la chambre du héros, « the Red Room of pains », tout un programme 🙂

  2. BDSM, sans S….
    Chère Cherry,
    J’ai découvert votre blog et le trouve très intéressant. Il est 13h, j’ai une angine, et vais m’attarder à répondre sur cet article plutôt que de sur tous les autres, car il est, pour moi, symptomatique d’une réflexion sous-jacente que l’on peut retrouver en filigrane de l’entièreté de vos écrits dont je ne critiquerai aucunement la qualité, mais dont je salue ici la qualité.
    Si les gens ont critiqué ‘’50 Shades of Grey’’, c’est, je pense, pour des raisons plus profondes qui sont propres à notre époque, à l’art et l’émancipation contemporaine : la référence redondante à Sade pour affirmer une sorte de ‘’liberté assumée’’. Je comprends tout à fait que les revendications individuelles ont besoin d’assises historiques et artistiques solides pour tromper le public : mais pour citer un auteur, mieux vaut l’avoir lu. Ce n’est donc pas une critique à l’encontre de cette ‘’œuvre’’ que vous aviez en face de vous ; il s’agissait de la dénonciation d’un succès littéraire qui fait écho à l’échec de notre culture.
    Nous sommes en 2015, et les scénarios punitifs se multiplient dans les chaumières : les chaines, les menottes, les cagoules et string en cuir, sont un phénomène de masse. Nous sommes plus à l’abri de la recherche du bonheur dans le crime. Le plaisir obligatoire des années 70 (« Jouissez sans entrave » utilisation de l’impératif, et si tu ne le fais pas, on jouira sur le visage de ta copine) a vu passer après lui le retour au bagne puritain (sous la pression du Sida, de la dévalorisation de l’alpha dans les nouveaux rapports de sexe) puis, aujourd’hui, les salles de tortures pour tous, les dominatrices de chasseurs Français et les fouetteuses en vinyle. Il s’agit d’un sadisme quantitatif. Les couples mariés s’en donnent à cœur joie, et l’étude de ‘’50 nuances de Grey’’ permet de s’en rendre compte. Paradoxe s’il en est, ce jeu de talons aiguilles, de corsets lacés, ces punitions, simulacres de flagellations s’exécute le soir après le bureau, comme si les chaumines étaient une résurrection de l’enfermement du château fort de Silling dans Les Cent Vingt Journées de Sodome, avec un intérieur fung shui. Ne pourra-t-on pas demander, bientôt, le remboursement de cet héroïsme conjugal par la sécurité sociale ? Car oui, c’est bien d’héroïsme dont il s’agit depuis que beaucoup s’en tarissent et s’affirment fièrement comme étant libres et décomplexés, en baisant les bras attachés dans le dos sur un canapé Starck. Mais dites-moi, qu’est-ce que cette époque hygiénique, compétitive, saine et salubre peut bien avoir à voir avec le Hors-limites, l’Impensable, l’homme qui resta enfermé 30 ans à la Bastille sans que personne ne se soit jamais présenté pour le juger ? Le sadisme est une des maladies de l’esprit de sérieux, un symptôme de la « vision de premier degré » du monde. C’est avant tout une façon de ne pas lire Sade. Car Sade, en ces termes, s’exprime : « une jolie fille doit s’occuper de foutre et jamais d’engendrer ». Lequel de ces descendants auto-proclamés du marquis souscrira à de tels propos ? N’oublions pas que Sade, tout comme Vanini qui, lui ; a été condamné au bucher, a craché un pamphlet à la gueule des valeurs de notre société avec Français, encore un effort si vous voulez être Républicains, admirable atelier de destruction de tout ce fatras de ‘’boniments sirupeux sur l’Etre Suprême chargé de faire marcher la guillotine’’ au lubrifiant de la vertu.
    Il y a deux autres points par lesquels ces chancres du libertinage travestissent l’auteur. Le premier est intéressant. Il réside dans la réponse de Noirceuil à Juliette vis-à-vis de la définition de la vertu : « (Elle) n’est, par sa définition, qu’un mouvement vil et intéressé qui semble dire : Je te donne pour que tu me rendes. D’où vous voyez que le vice est tellement inhérent en nous, et qu’il est si constamment la première loi de la nature, que la plus belle de toutes les vertus analysées, ne se trouvant plus qu’égoïste, devient elle-même un vice. Tout est donc vice dans l’homme ». L’affirmation de l’absence de vice dans le libertinage de ces néo-libertins adorateur de Sade est en complète opposition avec la pensée de l’auteur : pour lui, le vice est partout ; dans notre société, on ne veut plus le voir nulle part. Les libertins affirment que ceux qu’ils font n’est pas vicié, ni même vicieux : nous sommes aux antipodes de la philosophie Sadienne. Alors l’auteur, conscient de son humanité pleine de vices, poursuit : ‘’je veux bien faire des crimes pour favoriser mes passions, aucun pour servir celles des autres’’. Le sado masochisme et la négation même de cette pensée. La prise de plaisir doit être égoïste, il faut avoir conscience de commettre un crime en soi et pour soi selon les termes d’Hegel. Et dans le libertinage en général, l’appartenance à une communauté de partage, de lubricité, de plaisirs communs, une convivialité libertine, n’a rien à voir avec le Sadisme, le boudoir, ou quelques pages du marquis. C’est tout au plus Le banquet  de Platon, à tout le moins un apéro. Le deuxième travestissement tient en un seul état de fait : la culpabilité. Car s’il est bien un acteur que l’on ne retrouve pas dans le théâtre Sadien, c’est bien le coupable. Lui-même en est la preuve : beuglant comme un veau ‘’le malheur ne m’avilira jamais’’ depuis sa cellule en 1781, après trente année sans jugement, il affirme que la faute émane de l’autre. Sans autrui, pas de faute ; sans jugement, pas de coupable. Les membres de la « Société des amis du crime » de Sade ne sont pas amis entre eux, ils sont amis du crime et de lui-seul. Mais l’anonymat dans lequel se plongent les libertins, l’acharnement avec lequel ils crient dans nos rues qu’ils sont libres derrière leurs masques, est symptomatique de cette culpabilité : ils utilisent des pseudonymes, nous affirment qu’ils sont libres et qu’ils assument ce qu’ils sont, sans se soucier une seule seconde de la tristesse du mensonge qu’ils s’infligent à eux-mêmes.  Le jeu même du sadomasochisme est un jeu de culpabilité, un jeu de punition. Chez Sade, pas de responsabilité, pas de faute, pas même de responsabilité sans faute : simplement une punition sans criminel, un crime sans mort, une simplicité irresponsable. Le but de Sade était de faire sauter l’attache qui lie depuis toujours le plaisir sexuel à la procréation, sans culpabilité : lire Sade, c’est s’empêcher de tuer. « Le refus de la propagation » est pour Sade le crime le plus utile qui soit. C’est exact, Sade n’aime personne, et les libertins aiment tout le monde. Le misanthrope pousse le vice en faisant dire à Mme de Saint-Ange, s’adressant à Eugénie : « glissons sur le plat mécanisme de la population pour nous attacher principalement et uniquement aux voluptés libertines dont l’esprit n’est nullement populateur ».
    Alors aujourd’hui, nous parlions de 50 Shades, une histoire d’amour surfant sur les idées sadiennes, au travers d’un courant qui se revendique comme enfanté par l’auteur. Cette communauté libertine qui respecte les règles serait semblable aux ‘’bad boys qui respectent les lois’’ : nous sommes dans une œuvre qui se veut ‘’loin des bonnes mœurs’’, alors qu’elle s’inscrit en plein dedans. Voilà ce qu’il y a réellement à critiquer dans cette œuvre pseudo littéraire, qui s’inscrit dans un courant se voulant ‘’révolté et révoltant’’. Rejeter ou accepter cette œuvre comme relevant d’un courant dissident est symptomatique de notre déchéance culturelle, dans un monde ou tout le monde se veut ‘’hors limite’’. Le problème ne résidait pas dans l’absence de scène de cul, ni dans la douleur latente des actes mal décrits, mais bel et bien dans ce que les lecteurs mettaient en avant.
    Je retourne me coucher. Continuez d’écrire des articles, j’aime beaucoup.

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